jeudi 17 octobre 2024

[ CHRONIQUE ]


THE KVB
'Tremors'
CD/LP
[Invada]


D'abord conçu comme le projet solo de Nicholas Wood, THE KVB débute son histoire à Londres. Ce Londonien de souche, véritable touche à tout est un amoureux de musique sombres, romantiques et acides.  Il est rejoint en 2011 aux claviers par Kate Day. Le duo distille des compositions à la croisée du post punk du rock gothique et du shoegaze. THE KVB manie aussi bien les guitares que les claviers et on évolue entre rock et électro avec un savoir-faire impressionnant. Après 'Always Then', premier album en 2012, le groupe ne fait qu'accroitre sa notoriété et évoluer son art au fil des concerts et des rencontres. Il travaillera un certain temps auprès de Anton Newcombe et du Brian Jonestown Massacre puisque signé sur le label A Records. Après un étonnant disque de reprises paru l'an dernier, THE KVB est de retour avec un huitième album, 'Tremors' qui met la barre haute en terme de production et de mélodies. 
Dès le prologue, 'Negative Drive', on sent une maitrise des éléments et des influences. La noirceur se pare de rythmiques froides et l'ensemble s'articule pour créer une danse désarticulée. La voix est caverneuse et le tout forme un maelstrom hypnotique. Une introduction qui annonce la couleur.  L'envolée mélancolique de 'Words' n'en est que plus belle et son refrain imparable met en évidence la force mélodique dont est capable le compositeur Nicholas Wood.  Onirique et chatoyant, ce titre est tout à la fois catchy et mélancolique. THE KVB accorde une grande importance aux mélodies qui font mouche, aux atmosphère et à ce que la musique demeure hors du temps. 'Tremors', le titre est très 80's dans les sonorités et caresse ici et là le mouvement 'new-wave' de cette même décennie. L'envie de se trémousser et de faire de grands gestes ? La suite propulse une puissance 'ghotico-shoegace' avec 'Labyrinths'. La rencontre de The Sisters Of Mercy ' période 'First And Last And Always' et de The Jesus Of Mary Chain.  C'est charbonneux, puissant et ultra efficace. THE KVB n'en n'a jamais autant imposé. Bluffant ! 'In The Silence' en milieu d'album se veut plus psyché dans son approche. L'atmosphère est plus légère et le ressenti plus cool dans une mélodie aux accointances blues. La voix de Kate Day apporte de la douceur et de la légèreté. Par la suite, la reprise fantomatique de 'Tremors' passe comme un rêve avant que ne retentisse l'épique 'Overload', morceau de bravoure au refrain lumineux. On est à mi-chemin entre la flamboyance pop et l'énergie du rock gothique. La cohésion et l'articulation des titres de ce nouvel album sont savamment dosées. On navigue entre énergie et mélancolie dans une suite de compositions accrocheuses. Alors que le disque chemine vers son épilogue et que le désincarné 'Dead Of The Night' s'éloigne dans la nuit, le strident et acide 'A Thrist' emboite le pas. 'Deep End' sera l'hymne de clôture de 'Tremors'.  La basse métronomique et la guitare épileptique offrent un habillage claustro à une composition qui rampe plus qu'elle ne s'élève. La lumière n'est finalement pas pour tout de suite et THE KVB danse encore avec les ombres jusqu'à s'évanouir dans la nuit. 
Voilà un disque impressionnant que THE KVB domine de point en point connaissant les moindres recoins et les couloirs d'un habitat hanté d'où ils observent le monde. Un beau disque conceptuel qui se terre derrière une simplicité dont le seul but et de leurré celui qui s'y aventure. Excellent !

|  - Olivier-Pierre HANS-LEONELLI -  |

mercredi 16 octobre 2024

[ CHRONIQUE ]



BEL CANTO
'Radiant Green'
CD/LP
[Bel Canto]


BEL CANTO est un projet dont on n'a pas ou peu entendu parlé depuis plus de vingt ans. Voilà pourquoi quelques précisions semblent opportunes. C'est en trio que la formation norvégienne apparaît pour la première fois en 1985 à Tromso en Norvège. Rapidement Geir Jenssen, Nils Johansen et Anneli Drecker s'installent en Belgique et signent avec le label Crammed. En 1987 sort le premier album 'White-Out Conditions'. BEL CANTO est rapidement associé au mouvement 'Heavenly Voices' et au label 4AD au sein duquel s'épanouissent des groupes comme Dead Can Dance et Cocteau Twins. Ce premier essai est encensé par Melody Maker et la presse en général. Leur musique éthérée et ethnique colle parfaitement à la voix enchanteresse de Anneli Drecker. En 1989 BEL CANTO propose sont second disque nommé 'Birds Of Passage'.  C'est un succès. Les compositions sont riches et les influences multiples. 
En 1990, Geir Jenssen a des envies de carrière solo. Le trio devient duo et Jenssen quitte le groupe pour créer Biosphere. La véritable percée commerciale arrive pourtant en 1992 avec 'Shimmering Warm & Bright'. Le style musical de BEL CANTO évolue vers une pop plus synthétique incluant des éléments des musique du monde et de folk nordique traditionnelle. Trois albums suivront jusqu'en 2002. La suite de l'aventure s'écrira en solo pour Anneli Drecker avec plusieurs disques solo et Nils Johansen lui composera pour le cinéma et la télévision.  Un projet de réunion des trois membres originels est entamé en 2007 mais Geir Jenssen quitte une nouvelle fois le groupe. BEL CANTO remonte sur scène en 2017 avec le souhait de faire d'autres concerts et d'enregistrer de nouveaux titres. L'annonce officielle du retour se fait par le biais de Anneli Drecker en direct du studio où le duo travaille sur de nouveaux titres. Vingt-deux ans après 'Dorothy's Victory', dernier album en date, 'Radiant Green' le nouvel album studio de BEL CANTO est annoncé.
C'est tout en douceur et charme que s'ouvre ce septième opus et dès 'Grass Mint Crisp' on y ressent un bien-être et l'ensemble n'est pas sans rappeler les regrettés Cocteau Twins. Un titre de pop atmosphérique de toute beauté. On reste dans les hauteurs avec 'Erlkönig', qui conte en langue allemande l'histoire du roi Erl d'après un poème de Johann Wolfgang Von Goethe. La fraicheur de la mélodie se mêle étrangement au chant parfois païen de Anneli Drecker. C'est superbe ! Plus loin la pop dansante de 'Lifeworld' laisse place à l'insouciance et et à la légèreté. La spatialité s'exprime de nouveau dans 'Prince Of Insecuria', composition planante à l'atmosphère froide. Les éléments sont réunis avec le crescendo de la musique associé aux vocalises enveloppantes de Drecker qui insuffle ici et là un peu de chaleur. Alors que le disque développe son atmosphère singulière, 'Train Window Girl', ballade mélancolique est un peu l'incursion du passé dans ce nouveau présent. Le titre chanté en français retrouve la participation de Gilles Martin, producteur légendaire des premiers albums de BEL CANTO et Steven Brown (Tuxedomoon - Crammed) est au sax-alto. Cette histoire d'amour impossible est poignante et son interprétation par Anneli Drecker sont très touchantes. 
Plus loin, 'Virginia' en duo avec Sondre Lerche voit le trio Drecker, Jenssen, Johansen reformé pour un titre empli de lumière et de douceur. Les voix des deux artistes s'épousent à merveille dans ce titre aux envolées lyriques. 'Lake Ice' résulte lui aussi d'une composition à trois. Ici plus encore on retrouve le BEL CANTO des débuts dans une ambiance feutrée. La participation de Geir Jenssen est ici plus évidente dans les sonorités électroniques. Le titre qui aurait pu figurer sur les premiers albums du groupe est d'une mélancolie folle et démontre à quel point la cohésion artistique des trois auteurs perdure. 'Can Of Worms' retrouve l'urgence et le rythme qui pouvait peut-être faire défaut jusque là. Ici il est question de lâcher prise, la machine est en marche et la voix emplie l'espace dans une course haletante. En fin de parcours, alors que s'achève la pièce instrumentale 'The Winds Of The Milky Way' composé par le seul Nils Johansen, 'Wave Without A Shore' douce ballade acoustique à la mélodie caressante referme doucement les portes de cette nouvelles collection baignée d'un vert éclatant qui nous enchante. Le retour de BEL CANTO avec ce 'Radiant Green' est très enthousiasmant. Ce projet unique a une place bien particulière dans le monde de la musique, développant un art dont les influences nordiques sont incontestables. La voix de Anneli Drecker demeure singulière et magnifie des compositions profondes et diverses et cette nouvelle livraison est aussi riche que belle. Il ne reste qu'à souhaiter que BEL CANTO ne disparaisse pas à nouveau tant il nous font de bien au coeur et à l'âme.

| - Olivier-Pierre HANS- LEONELLI - | 


mardi 15 octobre 2024

[ CHRONIQUE ]



ALAIN CHAMFORT
'L'Impermanence'
CD/LP
[Tessland - BMG ]

ALAIN CHAMFORT l'a annoncé sans détour. 'L'Impermanence' sera son dernier album et la suite ne sera que formats courts et participations diverses. Ce nouvel album paru au printemps dernier est sorti dans un contexte personnel particulier. L'artiste sort d'une période compliquée mettant en péril sa propre vie. Fort heureusement cette période difficile est derrière lui mais comment ne pas ressentir ces bouleversements au travers de ces onze nouvelles compositions. 
'L'Impermanence' est son quinzième album studio en cinquante ans de carrière. L'artiste de 75 ans à toujours eu une place à part dans la paysage français. Tantôt dandy, tantôt représentant de la pop à la française, tantôt artiste inaccessible, ALAIN CHAMFORT demeure un compositeur hors pair et possède un savoir-faire unique dans le monde de la musique. Ce nouvel album marqué de sa patte unique est sans doute le plus personnel aussi et son disque le plus profond.  'L'Apocalypse Heureuse', titre fort qui ouvre tout en mélancolie 'L'Impermanence', traite de l'âge qui passe et de la violence que parfois le temps qui avance provoque en soi. La mélodie d'une beauté renversante travaillée en compagnie d'Arnold Turboust est à la fois lunaire et et déchirante. Les texte de Pierre-Dominique Burgaud sont superbes et en fusion totale avec CHAMFORT.  'Dans Mes Yeux' est un titre d'une solide modernité nappé de cordes qui virevoltent pour s'envoler vers un lyrisme qui emporte. La ballade crépusculaire qui suit est fragile et belle. 'Par Inadvertance' est une tirade romantique d'un homme qui regarde la vie droit devant lui. Un passage à fleur de peau tout en finesse et en délicatesse. 'Altiplano' offre une suite tout en suspension et l'atmosphère que dégage ce morceaux à des airs d'un ailleurs. Après le mystère de la mélancolique 'A L'Aune' soutenu essentiellement d'un piano et de cordes, le titre verse doucement dans une tristesse contagieuse. A contre pied, 'En Beauté', la pop saccadée renverse la tendance et offre un titre acide et sans concession sur le refus de vieillir et de voir son corps se faner. Rythmiques électro, mélodie pop et texte au vitriol font de se titre une moment d'humour noir savoureux. 
Avant que ne paraisse l'album, ALAIN CHAMFORT a proposé une format court quatre titres uniquement paru en vinyle enregistré avec la participation de Sébastien Tellier. De cette session, on retrouve sur 'L'Impermanence', 'Whisky Glace', une composition léchée très réussie. Le refrain est déchirant de beauté et l'association des  voix des deux artistes est parfaite. La mélodie langoureuse et les violons qui pleurent prennent à la gorge alors que l'esprit du  grand Gainsbourg plane ici est là. Absolument prodigieux ! Les bilans sont parfois crus et celui de 'L'Impermanence' en est un. Les choses ne durent pas et notre état est ici remis en cause. Nous ne demeurons pas et rien n'est immuable. Fort heureusement, ALAIN CHAMFORT est malgré tout un optimiste qui sait rester philosophe et en fin de parcours lui même le dit. 'Tout S'Arrange A La Fin', format peu très 60's qui ouvre le ciel et laisse un clarteux soleil traverser les nuages. Un beau titre chaloupé aux arrangements lumineux. le cloches retentissent et les violons s'envolent . Efficace et lumineux.  Avec 'La Grace' l'artiste clos ce nouvel et dernier album en plaçant l'espoir d'avoir marqué son environnement et de laisser une trace le jour où ... ALAIN CHAMFORT vient de lâcher sa dernière création cohérente dans un grand vent de sincérité, de profondeur et de beauté. 'L'Impermanence' et un disque authentique, pur et beau. L'humanité et l'intelligence d'un artiste hors pair caressent l'auditeur dans un élan de mélancolie et d'espoir.

- Olivier-Pierre HANS-LEONELLI -

lundi 14 octobre 2024

[ CHRONIQUE ]


ARAB STRAP
I'm Totally Fine With It, Don't Give A Fuck Anymore'
CD/LP
[ Rock Action ]


Trois ans après le magnifique 'As Days Get Dark', ARAB STRAP sort le second album d'un retour attendu pendant plus de quinze ans. Le titre du disque plutôt sans équivoque annonce le ton. Aucun calcul en vu pour 'I'm Totally Fine With It, Don't Give A Fuck Anymore'. Le huitième album studio des écossais paru au printemps dernier est un disque plus cru et frontal que son prédécesseur. A commencer par 'Allatonceness', une fable âpre à la rythmique saccadée accompagnée du chant très écossais de Aidan Moffat indissociable du son du duo. Le titre est puissant, incandescent. Bliss' présenté comme un des single potentiel, retrouve la patte ARAB STRAP ;  association de boite à rythme kitsch et guitares, poussant la mélancolie vers la tristesse. Bien plus romantique, la partie est à la fois dansante et émouvante. L'équilibre y est parfait. Dans l'ensemble cette nouvelle livraison plus frontal est plus en rythme aussi et 'Sociometer Blues' en est un bel exemple. Savoir faire d'artistes capables de faire muter leur art sans le renier. L'histoire est respectée et la remaniement des influences finement mené. 
Après trois ballades plus classiques 'Hide On Fires', jolie ritournelle, l'atmosphérique 'Summer Season' et l'épure et la mélancolie au travers de la fantomatique 'Molehills', ARAB STRAP retrouve le mordant et l'âpreté avec l'énorme 'Strawberry Moon' titre tout en adrénaline à la mélodie imparable, lové d'arrangements justes et efficaces en diable. Ce titre est à placer au panthéon des grands classiques de ce que le duo peut produire de meilleurs. Absolument délicieux ! 'Haven't You Heard' dans la seconde moitié du disque fait office de morceau pop. La mélodie est belle, simple et prenante, l'ensemble est  soutenu d'une rythmique chaloupée et de guitares chaudes et rondes. Le chant y est susurré et les arrangements enjoués. Décidemment cette nouvelle livraison inspirée est aussi diversifiée qu'inspirante et ARAB STRAP le sait, l'acoustique et l'épure collent à merveille au mélodies pures égrenées par Malcolm Middleton. 'Safe & Well' est une ballade céleste qui sent bon la nature et la fraicheur d'un matin boisé. 
Alors que ce nouveau voyage tire à sa fin, 'Dreg Queen' empli l'espace, un espace nocturne, plein de mystère et de tension. Une prouesse qui oscille entre force et fragilité. C'est d'une grande beauté et d'une création sans pareil. ARAB STRAP demeure ce groupe unique qui n'a d'autre écho que lui même. Au moment ou 'Turn Off The Light' referme la marche, le bilan est sans appel. Ce groupe sans faux pas dans une carrière à l'honnêteté sans faille poursuit une progression artistique en recherche permanente d'évolution sans jamais renier ses racines. N'est ce pas là, l'essence de l'Art ? 

- Olivier-Pierre HANS-LEONELLI -