lundi 25 mars 2024

[ CHRONIQUE ]


ANJA HUWE
Codes 
vinyle / cd
[ Sacred Bones ]


Après plus de trois décennies de silence et l'abandon pour X Mal Deutschland en 1989 suite à la sortie du quatrième album 'Devils', voilà que cet écho qui raisonne encore dans nos coeurs est de retour et cette fois bien ancré dans un présent qui lui sourit. D'aucun n'aurait pu prévoir un jour pouvoir écouter ANJA HUWE (voix singulière) de X Mal Deutschland sur de nouvelles compositions. C'est pourtant subitement qu'un premier album solo est annoncé par le label Sacred Bones sans que personne ne voit venir la chose. Près de trente-cinq ans passés, voici 'Codes', premier disque de ANJA HUWE, qui intriguée par le récit tiré du journal intime d'un adolescent parti vivre en 1942 en pleine seconde guerre mondiale dans la forêt biélorusse pour devenir partisan, a ressenti le besoin d'écrire sur cette histoire. De poème passé en musique avec l'aide de Mona Mur, le projet à prit forme pour devenir un véritable album.
Produit par John Caffery avec l'aide de Manuela Rickers (guitariste de X Mal Deutschland), 'Codes' propose neuf compositions ancrées dans divers courants musicaux. Format court et intense d'une grosse demie heure, l'ensemble est d'une grande richesse stylistique et sonore. Les compositions se suivent et ne se ressemblent pas dans une cohérence pourtant étonnante. La voix de ANJA HUWE est le fil conducteur d'un ensemble qui prend corps et s'étoffe au fil des écoutes. Après la mélancolie de 'Skuggornas' en ouverture, 'Rabenschwarz' brise la glace dans un élan électro rock syncopé. La guitare de Manuel Rickers associée au chant en allemand scandé par la voix unique de l'artiste rappellent les grandes heures de feu X Mal Deutschland. Cependant, ANJA HUWE développe son propre univers dans un élan de vie et d'envies. 'Pariah' fait écho à la renaissance et raisonne comme un véritable cantique. Mona Mur synthétise un reggae mutant. 'Exit' progresse dans un mystérieux mouvement serpentant dans les couloirs étroits de l'inconscient. 'O Wald' épuré et atmosphérique se réfère à un passage du journal. Adolescent sans abri dans la forêt, guidé par l'espoir et l'envie de vivre. Le titre dégage une certaine mélancolie et une froideur qui colle parfaitement au texte. Soutenu d'une basse métronomique, 'Zwischenwelt' est à la fois une apparition fantomatique et un enchantement tout en échos.  'Sleep (with one eye open)' ou comment définir de nouveaux codes dans une vie autre. La musique évoque la progression et la recherche, l'adaptation. Les évènements qui se succèdent et le temps qui passe. L'homme demeure dans la nature avec 'Living In A Forest' véritable chant de révolte à la croisée du rock et de l'électronique. La mélodie est simple et d'une efficacité redoutable. Le chant de ANJA HUWE plus déterminé que jamais. Il s'agit là d'un chant de résistance, d'un cri de guerre. Sans doute la titre le plus marquant de 'Codes'.  Le disque s'achève alors que le cap est passé. La forêt est à présent un refuge et l'adaptation faite. Une mélodie douce au piano introduit une composition calme en apesanteur. Le voilà désormais armé pour cette nouvelle vie.
ANJA HUWE pour son retour à choisi de proposer une oeuvre conceptuelle. Elle est l'écho d'une histoire singulière du passé. Sa voix et la musique de 'Codes' en font une oeuvre complète articulée autour d'un axe central. Pourtant c'est bien elle qui mène la danse, apportant à l'ensemble sa personnalité et sa voix reconnaissable dès les premières notes. 'Codes' est un beau disque, unique dans son approche, un album riche de sens et dans sa forme aussi inattendu que réussi. 

_ Olivier Pierre Hans-Léonelli _

dimanche 17 mars 2024

[ CHRONIQUE ]


COLLECTION D'ARNELL-ANDREA
 
A Forest Inside 
vinyle / cd 
[ Meidosem - Infrastition ]



Plus que singulière, la formation COLLECTION D'ARNELL-ANDREA est unique dans sa forme et son art. Mené par Jean-Christophe D'Arnell, entouré des mêmes musiciens depuis 1988 dont la chanteuse Chloé St Liphard, le groupe distille une musique à la croisée des mondes et des époques. Aux instruments classiques (viole, violoncelle et piano)  se mêlent basse, clavier, guitare et sonorités synthétiques au service de mélodies alliant la force du romantisme et la noirceur de la révolte. Entre 1989 et 2023, la formation propose dix albums studios dont certains font parti des plus belles réussites de la musique indépendante. Dans son histoire le groupe a connu deux longues pauses. D'abord entre 1996 et 2004, puis plus récemment entre 2010 et 2019.  COLLECTION D'ARNELL-ANDREA semble connaître des cycles de créations et renouvelle sa matière en se retirant après d'intenses périodes d'activités.
Pour ce nouvel album, 'A Forest Inside', le cercle semble poursuivre un virage électro dans le traitement de sa musique, donnant force, puissance et robustesse à de solides compositions. C'est le second album entièrement en anglais, après 'Bower Of Despair' en 2004, mais c'est le premier aussi frontal dans sa forme. Pourtant la poésie et l'essence de COLLECTION D'ARNELL-ANDREA demeurent tout au long de douze nouvelles compositions parfois froides souvent grandioses, toujours inspirées.  Même si l'entrée en matière que constitue 'The Colour Of Your Mind' annonce le ton résolument rythmé et électronique de l'ensemble, avec une mélodie syncopée soutenue d'un violoncelle tantôt nerveux, tantôt caressant, la suite se veut plus nuancée. La richesse des compositions offrent à ce nouvel habillage une dimension dansante assez irrésistible et les voix masculines qui tempèrent le propos offrent des moments de respirations bénéfiques. La binarité entraîne encore le mouvement dans la sombre fable 'The Realm of Memories'. Les voix masculines sont ici plus présentent (Franz Torres-Quevedo et de Jean-Christophe D'Arnell) et font écho à l'instrument essentiel qu'est la voix de Chloé St Liphard. 'Snowdrops In a Grove', lâche du leste dans une mélopée planante et apaisée. La mélodie caresse et entraîne à la rêverie. Très 'club' dans son traîtemment, l'efficace 'Waiting For Meaulnes' réactive le mouvement alors que les choeurs s'élèvent et que l'ensemble prend de l'épaisseur dans une irrésistible danse hypnotique. 
En milieu de parcours, Jean-Christophe-D'arnell prend le chant sur l'entièreté du mystérieux 'My Heart, A Storm', véritable trait d'union vers la seconde moitié de l'album. COLLECTION D'ARNELL-ANDREA signe et persiste dans son envie de renouvellement avec le cold et très électro 'A Blackbird In A Dark World' qui enfonce le clou et pousse la musique dans un future décidément aussi déstabilisant que prometteur. Les compositions se suivent et font mouche, riches et puissantes, fortes et planantes. L'équilibre fragile est parfait et la réussite totale. Il faut attendre la dernière partie de 'A Forest Inside' pour profiter de la beauté dramatique empruntes de romantisme de 'Fading In Time', belle et déchirante procession qui chemine fièrement sur les chemins de la nostalgie. C'est beau et imposant. COLLECTION D'ARNELL-ANDREA n'a rien perdu de son âme et l'ensemble de ce nouvel album laisse transparaître la pureté et l'intégrité de la démarche de musiciens dont l'inspiration n'a d'égale. L'entraînant 'A Chapel Of Rest' accompagne l'auditeur vers le titre 'A Forest Inside', ballade vénéneuse caressée de la voix envoûtante de Chloé St Liphard. Le morceau émeut et étourdie de vapeurs mélancoliques, de sentiments à fleur de peau. Magnifique composition, servie par une somptueuse orchestration. Après 'Longing For A New Spring', électro pop en deux actes, COLLECTION D'ARNELL-ANDREA clôt magistralement ce nouvel opus avec le superbe 'Lichen On My Name', délicat et sensoriel. La grâce omni présente virevolte et se faufile avec aisance et élégance dans une tendresse impérieuse. 
Passé l'étonnement, 'A Forest Inside' est un disque solide et aussi inspiré qu'inspirant. L'ensemble des compositions touche et laisse des traces. A la fois enthousiasmant et d'une profondeur sans égal, le nouveau disque de COLLECTION D'ARNELL-ANDREA risque de nous habiter longtemps tant finalement il nous ressemble. Sublime !

_ Olivier Pierre LEONELLI _