Après une carrière entamée à l'adolescence, KRISTIN HERSH, américaine dans l'âme profite d'une expérience souvent décevante du music business qui n'a tout au long des décennies que conforté sa position et sa vision de la musique. Elle considère que la musique est libre et déclare dans un entretien datant de 2014 : 'La musique n'est pas une marchandise, c'est quelque chose que les gens ont gagné en étant humain. Ils ont le droit de l'entendre et de la partager comme ils le font depuis toujours dans les fêtes et les églises'. Autant dire que l'actuel contrat avec Fire Records doit être plutôt précis.
KRISTIN HERSH est une artiste déterminée et intelligente qui a une approche très personnelle de la musique. Depuis toujours elle crée un style à la fois dissonant et folk traditionnel. On y trouve aussi bien des sonorités ; post-punk, folk, rockabilly voir country. La tessiture vocale particulière de l'artiste achève de donner une identité et un charme à des compositions tantôt fragiles, tantôt furieuses. Fille de parents professeurs, elle débute à sa demande la guitare à l'âge de neuf ans et forme avec sa demie-soeur Tanya Donelly, Throwing Muses à quatorze. Leur groupe sera la première signature américaine du label anglais 4AD. Le diamant brut 'Hips And Makers' marque le début d'une prolifique carrière solo en 1994. Neuf autres disque contenant des merveilles suivront à interval régulier. C'est suite à un accident que KRISTIN HERSH dit entendre des sons dans sa tête qu'elle utilise dans ses compositions. Même si les nouvelles sont régulières au travers de ses projets Throwing Muses et 50 FootWave, voilà cinq ans que rien n'était paru sous son nom et le joli 'Possible Dust Clouds' en 2018.
Le second album pour Fire Records, 'Clear Pond Road' est paru à la fin de l'été et comme presque toujours KRISTIN HERSH est seule à la barre. Qu'il s'agisse des compositions, des textes et de quasi toute l'instrumentation. Ici encore, il s'agit d'expériences personnelles et dieu sait que la dame en a vécu, entre les combats pour conserver la garde d'un de ses fils, sa séparation après vingt cinq ans de mariage et une santé mentale fragile, c'est d'introspection plus que de réelles histoires qui jonchent ce road- movie semi acoustique qu'est 'Clear Pond Road. On y croise des fantômes, des routes désertes et des histoires d'amour. C'est parfois rugueux, parfois angélique, toujours mélancolique, voir même triste. Tout est noué de sincérité et de beauté à fleur de peau. On retrouve cette voix qui ne bouge pas et se fait majoritairement caressante. Le cristallin des guitares domine sur des arpèges qui ne tiennent qu'à un fil, couvrant à peine des mélodies aussi graciles qu'essentielles. Certains regains, redonnent du souffle et ouvrent le ciel pour y laisser éclore une luminosité nouvelle. Les dix nouvelles compositions sont gorgées de vie, d'une vie pas toujours heureuse et facile mais d'une vie mérité. C'est à se demander si ce nouvel album de KRISTIN HERSH n'est pas encore plus personnel tant la sincérité du propos touche à l'intime. Y entrer c'est un peu comme être convié en son foyer, ne sachant pas si c'est vraiment notre place et pourtant cette musique nous nourrit de l'essentiel avec franchise et pureté. Les titres se suivent et offrent leur lot de belles et de très belles surprises. les respirations et les élans sont nombreux. l'inspiration est nette et l'envie intacte.
Pour KRISTIN HERSH, 'Clear Pond Road' est majoritairement un disque joyeux avec ses passages tristes comme l'effondrement mental et certains moments tragiques de la vie, des moments inévitables. Pour ce nouveau disque KRISTIN HERSH offre une plongé tout en délicatesse dans son univers qui ressemble en de nombreux point au notre. Musicalement on demeure sur des terres connues, des mélodies soyeuses et épurées portées par cette voix si singulière et pourtant si familière. Le niveau d'implication de l'artiste est totale et sa sincérité touche en plein coeur.
Formé en 1985 à Portsmouth , ville portuaire de la côte sud de l'Angleterre, par la fratrie Shaw, Alison et Jim, CRANES sort une cassette intitulée 'Fuse' en 1986 en guise de carte de visite. Un réalisation autoproduite comprenant sept titres, aujourd'hui très recherchée par les amateurs. Jim Shaw programme divers sons qui viennent enrichir la musique du groupe, il jour de la guitare et de la basse. Alison elle, l'accompagne à la basse, à la guitare et pose sur les compositions cette voix enfantine singulière qui fera rapidement partie de l'ADN de la formation. Un premier mini album six titre paraît trois ans plus tard, 'Self-Non-Self', attirant l'attention du célèbre John Peel, programmateur à la BBC. CRANES est alors composé de Alison et Jim Shaw, accompagnés de Mark Francombe à la guitare et au clavier , ainsi que de Matt Cope à la guitare. John Peel invitera en 1989 et 1990, la formation à enregistrer deux sessions pour la BBC. Cette même formation à quatre va produira entre 1991 et 1996, cinq albums pour le label Dedicated.
La musique de CRANES est souvent décrite comme un métissage d'art rock, de pop sombre et froide. Après 'Wings Of Joy' en 1991, 'Forever' en 1993, 'Loved' en 1994 et 'Population Four' en 1996, le groupe marque la pause sans certitude de retour juste après la tournée de 1997. Pourtant en 2001, c'est sous la forme d'un duo, Jim et Alison Shaw que CRANES revient sur son propre label, Dadaphonic avec 'Future Songs', un sixième album plus électronique et plus atmosphérique conservant malgré tout l'essence du groupe. Deux autres suivront dans la même veine, en 2004, 'Particles & Waves' et en 2008 le sobrement titré 'Cranes'. Ce disque sera la dernier et le début d'une longue période de silence sans espoir de retour pour le groupe.
Pourtant au printemps dernier, après 15 ans de mutisme, CRANES redonne des nouvelles via les réseaux sociaux. L'annonce de la sortie des BBC sessions sur Dadaphonic par le groupe lui même donne l'espoir d'un véritable retour. En juin 2023, c'est mis en image par Chris Bigg, artiste ayant travaillé avec le regretté Vaughan Oliver pour le label 4AD que paraît aux formats vinyle et cd les 'John Peel Sessions - 1989 - 1990', soit les sept titres captés à la BBC. Le visuel ne trompe pas et colle parfaitement à l'atmosphère dégagée par la musique de CRANES. Cette sortie est l'occasion de redécouvrir en version 'live' des compositions inspirées et efficaces au son sec et tranchant. Au moment de cette sortie, deux dates de concerts sont annoncées avec le line-up originel pour célébrer sur scène les 30 ans de l'album 'Forever'. Le groupe jouera une première date à Portsmouth, dans la ville d'origine de CRANES. Une troisième date est d'ores et déjà annoncée à Londres en mai prochain et à la question posée innocemment sur les réseaux sociaux au groupe de savoir si il était possible qu'un nouvel album de CRANES sorte un jour, la réponse a été : 'Avec le temps, tout est possible'. Qui vivra verra et même si CRANES ne poursuit pas sa renaissance, son héritage est déjà précieux !
Il y a sept ans P.J. HARVEY sortait ce qui a failli être son dernier album. 'The Hope Six Demolition Project' (2016), disque âpre et engagé annonçait il déjà la couleur? P.J. HARVEY n'était à cette période sans doute pas au meilleur de sa forme et la tendance s'est confirmée. On l'a disait en panne d'inspiration, pire, en dépression, ne trouvant plus la voie où ne voulant plus faire de musique. Une chose est sûre. Après 25 ans de carrière, l'artiste avait besoin de faire la pause. Dans les années qui on suivi, P.J. HARVEY s'est faite plus discrète, se contentant de quelques apparitions sur des bandes originales. C'est finalement vers l'écriture et un projet en gestation depuis plusieurs années que P.J. HARVEY se tourne. En 2021, elle publie 'Orlam' un long poème narratif rédigé dans le dialecte de Dorset et traduit en anglais avant sa publication. On ne saura pas si c'est 'Orlam' qui a conduit à nouveau la dame du Dorset vers la musique, ou sa rencontre avec le réalisateur britannique Steve McQueen, toujours est-il qu'en 2022 P.J. HARVEY a retrouvé en elle la source de cette inspiration que nul ne peut expliquer. Après sept ans de quasi silence, 'I Inside The Old Year Dying', son dixième album est finalement paru sur un nouveau label, Partisan, en plein coeur de l'été.
Ce disque est un véritable symbole pour l'artiste et une révolution intérieure. Musicalement c'est une renaissance dans son approche de la musique et elle tourne une page en travaillant avec un label plus indépendant et plus artisanal que Island mettant fin à une collaboration de 30 ans. Aujourd'hui, P.J. HARVEY reste une artiste passionnante pleine de surprises, plus indépendante que jamais. Même si les fans de la première heure et de l'artiste rock qu'elle a pu représenter, risquent d'être déstabilisés à l'écoute de ce nouveau disque, on est surtout subjugué par la poésie que dégage les nouvelles compositions et ce dès le décharné 'Prayer At The Gate' qui s'avère d'une grande finesse et d'une beauté sans faille. La voix haut perchée se fait angélique sur une instrumentation fragile, juste et essentielle. Les seules similitudes de cette oeuvre avec le travail passé de l'artiste se trouve dans l'austère 'White Chalk', une oeuvre piano voix paru en 2007. Tout aussi épuré, 'Autum Term se pare d'un instrumentation soyeuse soutenue d'un piano et d'une guitare gracile. L'essence même de la musique de P.J. HARVEY est ici dans son habit le plus simple et le plus honnête. Très belle et envoûtante, la composition s'éloigne dans une lueur de fin d'été. Les titres se suivent et s'enchaînent dans une unité naturelle. Le trio Flood, John Parish et P.J. HARVEY semble fonctionner à merveille, une fois encore et malgré les vides et les doutes. 'Lwonesome Tonight' sublime cette voix pure, fragile et forte à la fois. 'Seem An I', douce ballade laisse jaillir ici et là ses puits de lumière, offrant une dimension nouvelle à une composition en demie teinte. On retrouve ici le style inimitable de P.J. HARVEY. L'artiste n'a rien perdu de son essence, c'est le traitement et l'habillage de son oeuvre qui lui permet de retrouver l'ossature de son art. La magie perdure et le caractère unique aussi. Il suffit d'écouter cette merveille de moins de deux minutes que constitue ''I Inside The Old Year Dying' en milieu de parcours. Après les expérimentations de 'All Souls', c'est avec retenue qu'on entre dans 'A Child's Question, August', qui chemine comme une marche funèbre d'une splendeur et d'une noblesse renversante. Un passage d'une très grande beauté.
Plus léger et tout aussi merveilleux, 'I Inside The Old I Dying' libère l'esprit pour une escapade bucolique et poétique. Pouvant faire écho à la regretté Nico dans la façon de pauser la voix, 'August' qui contient des éléments du 'Love Me Tender' d'Elvis Presley est une cathédrale sonore dans laquelle raisonne une mélodie angélique. Le final lui plus électrique renvoit à la P.J. HARVEY des débuts, incandescente et agitée, rebelle et mordante. Mais tout cela n'est qu'un leurre tant le chemin vers la musique et les mots a été difficile et long et tant le renaissance est belle au travers de cette collection pure et sincère. Un disque d'art comme il en existe assez peu aujourd'hui.
Pour les New-Yorkais de SWANS tout commence dans l'obscurité et la crasse. On est en 1982 et le groupe sans le sou participe à l'émergence des musiques bruitistes et industrielles. A son origine, la formation comprend en autre Michael Gira son fondateur et Thurston Moore (ex-Sonic Youth) aux percussions. Tout n'est que remouds, cries et bruits. Michael Gira dira qu'il a opté pour le nom de SWANS parce que 'le cygne est une créature majestueuse au caractère de merde'. A l'arrivée de Jarboe, claviériste et chanteuse en 1984, SWANS entre progressivement dans une période plus mélodique. Elle quittera le groupe en 1997, au moment de l'arrêt de la formation. Le groupe se reforme en 2010. Depuis toujours SWANS est une créature en constante mutation. Michael Gira, véritable maître de cérémonie convoque son personnel au grès des besoins de la bête. C'est pourquoi, chaque disque est envisagé comme le dernier et 'Beggar', seizième double album studio des SWANS, paru l'été dernier à suivi la même logique.
C'est avec sécheresse que débute 'Beggar'. L'introduction 'The Parasite' sillonne, décharnée, au moyen d'une guitare épurée et de la voix unique de Michael Gira qui à elle seule emplie l'espace pour basculer doucement dans un songe d'un ailleurs imaginé par son auteur. Les presque neuf minutes qui passent offrent une plongée dans cet univers singulier où la lumière et l'obscurité se partagent une terre aride. Niveau textes, on connait l'aversion de Gira pour l'espère humaine qui est ici une fois encore la cible. Alors que débute 'Paradise Is Mine', les guitares qui semblent globalement en retrait sur le disque sont ici bien présentent et forment un canevas hypnotique qui emporte les dix minutes du morceau vers une symphonie transcendantale. Sur 'Los Angeles : City Of Death' (en vidéo ci-dessous) on retrouve le style que développait SWANS dans les années 90 avec un format chanson plus traditionnel et un titre qui s'en trouve plus accessible, lorgnant vers un rock plus classique. A l'aube de ses 70 ans, Michael Gira table aussi sur son propre sort et 'Michael Is Done' développe à la fois un état des choses, un bilan et un certain questionnement. Musicalement c'est sublime, extatique et spatial. Profondeur, exaltation et magie sont de mise dans une longue tirade qui s'élève vers les cieux.
L'épure reprend les rênes dans une ballade apaisée guidée par les vocalises chaudes d'un Michael Gira tout en nuance. 'Unforming' offre une pause sereine et mélancolique, pleine de quiétude. Le titre 'The Beggar' qui suit est pétri de détails, bruits divers et sons de clochettes soufflant le froid et le chaud sur une hallucination de plus de dix minutes. Plusieurs écoutes seront nécessaire pour profiter de la finesse de la production d'un titre en surcouches. La tension y est constante et le mystère rôde de bout en bout donnant au passage un caractère purement unique pour une expérience marquante entre douleur et rédemption. La musique de SWANS s'étire et se perd pour gagner en intensité. 'No More Of This' est à l'inverse une ballade épurée qui mute en une chorale onirique qui déploie ses ailes jusqu'à s'évaporer. 'Ebbing', en développement durant plus de onze minutes prend de l'ampleur au fil d'un morceau en deux temps qui enfle pour exploser en une puissante symphonie tourbillonnante, plongeant l'auditeur dans son propre oubli. Un état rare apprécié et partagé sur scène avec le public par un Michael Gira dans un état second. Après un tel moment, 'Why Can't I Have What I Want Any Time I Want?' referme la première partie de 'Beggar' en une composition douloureuse, plaintive et lugubre qui déverse un malaise palpable tout au long des sept minutes de son fantomatique cheminement.
La vision du mendiant (Beggar) selon Gira s'intensifie en seconde partie avec son prolongement de plus de 40 minutes qui déverse différents tableaux entre noirceur totale et extase. SWANS est décidemment un projet autre qui appréhende et développe l'Art de la musique d'une manière très personnel et permet à l'autre d'y entrer et de la ressentir d'une façon tout aussi personnelle. Il s'agit ici d'une démarche artistiquement aussi intime que noble dans une exigence totale de soi et des autres. L'homme au service de l'Art. SWANS ne regorge dans sa musique d'aucune simplicité si ce n'est qu'il tente de traduire et de décomplexer l'être (Gira) qui crée cet univers. Il est important sinon essentiel de cesser toute activité annexe et d'écouter en son entier cette création qui fait écho et qui se répond. Après 30 minutes à se débattre, 'The Beggar Lover' retrouve calme et sérénité avec un final chaloupé soutenu d'une rythmique que The Doors n'auraient pas renié. Le voyage se termine avec le chamanique et habité 'The Memorious' qui impose sa danse païenne dans un mouvement perpétuel qui emporte l'auditeur dans une dimension parallèle. Un final grandiose dont seul SWANS a le secret.
'The Beggar' est un disque riche et intense détenant une force obscure puissante, baigné de puits d'une lumière éclatante. Véritable objet d'Art, ce disque est intelligent et humain, profond, écorché et authentique en diable. Une merveille absolue !!