mercredi 1 novembre 2023

[ CHRONIQUE ]


SWANS 
Beggar
2CD/2LP
[ Mute Records ]
23.06.23


Pour les New-Yorkais de SWANS tout commence dans l'obscurité et la crasse. On est en  1982 et le groupe sans le sou participe à l'émergence des  musiques bruitistes et industrielles. A son origine, la formation comprend en autre Michael Gira son fondateur et Thurston Moore (ex-Sonic Youth) aux percussions. Tout n'est que remouds, cries et bruits.  Michael Gira dira qu'il a opté pour le nom de SWANS parce que 'le cygne est une créature majestueuse au caractère de merde'. A l'arrivée de Jarboe, claviériste et chanteuse en 1984, SWANS entre progressivement dans une période plus mélodique. Elle quittera le groupe en 1997, au moment de l'arrêt de la formation. Le groupe se reforme en 2010. Depuis toujours SWANS est une créature en constante mutation. Michael Gira, véritable maître de cérémonie convoque son personnel au grès des besoins de la bête. C'est pourquoi, chaque disque est envisagé comme le dernier et 'Beggar', seizième double album studio des SWANS, paru l'été dernier à suivi la même logique. 
C'est avec sécheresse que débute 'Beggar'. L'introduction 'The Parasite' sillonne, décharnée, au moyen d'une guitare épurée et de la voix unique de Michael Gira qui à elle seule emplie l'espace pour basculer doucement dans un songe d'un ailleurs imaginé par son auteur. Les presque neuf minutes qui passent offrent une plongée dans cet univers singulier où la lumière et l'obscurité se partagent une terre aride. Niveau textes, on connait l'aversion de Gira pour l'espère humaine qui est ici une fois encore la cible. Alors que débute 'Paradise Is Mine', les guitares qui semblent globalement en retrait sur le disque sont ici bien présentent et forment un canevas hypnotique qui emporte les dix minutes du morceau vers une symphonie transcendantale. Sur 'Los Angeles : City Of Death' (en vidéo ci-dessous) on retrouve le style que développait SWANS dans les années 90 avec un format chanson plus traditionnel et un titre qui s'en trouve plus accessible, lorgnant vers un rock plus classique. A l'aube de ses 70 ans, Michael Gira table aussi sur son propre sort et 'Michael Is Done' développe à la fois un état des choses, un bilan et un certain questionnement. Musicalement c'est sublime, extatique et spatial. Profondeur, exaltation et magie sont de mise dans une longue tirade qui s'élève vers les cieux. 
L'épure reprend les rênes dans une ballade apaisée guidée par les vocalises chaudes d'un Michael Gira tout en nuance.  'Unforming' offre une pause sereine et mélancolique, pleine de quiétude. Le titre 'The Beggar' qui suit est pétri de détails, bruits divers et sons de clochettes soufflant le froid et le chaud sur une hallucination de plus de dix minutes. Plusieurs écoutes seront nécessaire pour profiter de la finesse de la production d'un titre en surcouches. La tension y est constante et le mystère rôde de bout en bout donnant au passage un caractère purement unique pour une expérience marquante entre douleur et rédemption. La musique de SWANS s'étire et se perd pour gagner en intensité. 'No More Of This' est à l'inverse une ballade épurée qui mute en une chorale onirique qui déploie ses ailes jusqu'à s'évaporer. 'Ebbing', en développement durant plus de onze minutes prend de l'ampleur au fil d'un morceau en deux temps qui enfle pour exploser en une puissante symphonie tourbillonnante, plongeant l'auditeur dans son propre oubli. Un état rare apprécié et partagé sur scène avec le public par un Michael Gira dans un état second. Après un tel moment, 'Why Can't I Have What I Want Any Time I Want?' referme la première partie de 'Beggar' en une composition douloureuse, plaintive et lugubre qui déverse un malaise palpable tout au long des sept minutes de son fantomatique cheminement.
La vision du mendiant (Beggar) selon Gira s'intensifie en seconde partie avec son prolongement de plus de 40 minutes qui déverse différents tableaux entre noirceur totale et extase. SWANS est décidemment un projet autre qui appréhende et développe l'Art de la musique d'une manière très personnel et permet à l'autre d'y entrer et de la ressentir d'une façon tout aussi personnelle. Il s'agit ici d'une démarche artistiquement aussi intime que noble dans une exigence totale de soi et des autres. L'homme au service de l'Art. SWANS ne regorge dans sa musique d'aucune simplicité si ce n'est qu'il tente de traduire et de décomplexer l'être (Gira) qui crée cet univers. Il est important sinon essentiel de cesser toute activité annexe et d'écouter en son entier cette création qui fait écho et qui se répond. Après 30 minutes à se débattre, 'The Beggar Lover' retrouve calme et sérénité avec un final chaloupé soutenu d'une rythmique que The Doors n'auraient pas renié. Le voyage se termine avec le chamanique et habité 'The Memorious' qui impose sa danse païenne dans un mouvement perpétuel qui emporte l'auditeur dans une dimension parallèle. Un final grandiose dont seul SWANS a le secret.
'The Beggar' est un disque riche et intense détenant une force obscure puissante, baigné de puits d'une lumière éclatante. Véritable objet d'Art, ce disque est intelligent et humain, profond, écorché et authentique en diable. Une merveille absolue !!

[ FREUND ]


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